Les chars occidentaux dans la guerre en Ukraine : tour d’horizon de leur rôle et de leur utilité tactique

Du Leclerc au Leopard 2 en passant par l’AMX-10 RC, état des lieux des blindés et de leurs capacités opérationnelles.

C’est une requête sensible des forces ukrainiennes que les Occidentaux acceptent désormais d’étudier : la question de la livraison d’armement lourd à Kiev, comme le char de combat allemand Leopard 2, sera à l’ordre du jour d’une réunion de coordination qui doit se tenir vendredi 20 janvier sur la base militaire américaine de Ramstein, en Allemagne.

A cette occasion, « le message principal sera un soutien accru [à l’Ukraine] avec des armes plus lourdes et plus modernes », a déclaré, mercredi 18 janvier, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, au Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Le 14 janvier, le Royaume-Uni ouvrait déjà la voie à la livraison d’armes lourdes de fabrication occidentale en annonçant envoyer en Ukraine quatorze de ses chars de combat Challenger 2.

Jusqu’ici, Kiev n’a reçu de ses alliés que des chars de conception soviétique, les Occidentaux considérant que la fourniture d’engins aussi puissants que les Leclerc français, les M1 Abrams américains, les Leopard 2 allemands ou les Challenger 2 britanniques pouvait entraîner une escalade des tensions avec Moscou. Mais l’intensification des frappes russes sur les populations civiles et la perspective d’une guerre longue ont poussé certains pays à revoir leur position. Le Kremlin, de son côté, a juré que les chars promis à Kiev seraient « brûlés » sur le champ de bataille.

Début janvier, la France a déjà infléchi la ligne occidentale en promettant d’envoyer sur le sol ukrainien des chars légers, les AMX-10 RC. L’Allemagne a ensuite autorisé le transfert de véhicules de combat d’infanterie Marder, tandis que les Etats-Unis ont annoncé la livraison de blindés Bradley.

Leclerc, Leopard 2, Challenger 2, M1 Abrams, AMX-10 RC, Marder, Bradley… en quoi consistent ces engins réclamés par Kiev ? Quels sont leur rôle et leur utilité tactique ? Peuvent-ils permettre aux troupes ukrainiennes de faire la différence sur le terrain ? Tour d’horizon.

Leclerc, Leopard 2, Challenger 2, M1 Abrams : des chars de combat

Le char Leclerc (de fabrication française), le Leopard 2 (de fabrication allemande), le Challenger 2 (de fabrication britannique) et le M1 Abrams (de fabrication américaine) sont des chars à chenille dits « lourds », destinés aux combats de haute intensité. Ils pèsent entre 55 tonnes et 65 tonnes et sont composés d’un blindage très épais qui les met à l’abri d’un certain nombre d’attaques. « Leur rôle est d’essayer de percer les défenses ennemies », explique Marc Chassillan, ingénieur et spécialiste de l’armement militaire terrestre. En d’autres termes, de détruire ou de neutraliser les véhicules adverses.

Ces chars sont équipés d’un canon de gros calibre – entre 105 et 125 millimètres de diamètre selon les modèles – et peuvent transporter entre quarante et cinquante-cinq obus. Ils sont dotés de caméras thermiques et peuvent effectuer des tirs précis, de nuit et sur une longue distance : le char Leclerc peut par exemple tirer sur une cible fixe jusqu’à 4 kilomètres en roulant. A l’intérieur, des équipages de trois à quatre soldats (dont un chef de char, un tireur et un pilote) gèrent les opérations. Ils assurent en parallèle un travail de recueil et de transmission de l’information grâce aux systèmes informatiques présents à bord.

Ces engins sont-ils plus puissants que les chars de combat russes, comme les T-72 ? « Les chars occidentaux ont été élaborés entre la fin des années 1970 et les années 1990, en pleine guerre froide. Dès le départ, leur objectif était de détruire les chars russes et d’avoir une supériorité tactique et opérationnelle sur eux, rapporte M. Chassillan. Ils tirent beaucoup mieux, plus vite et plus loin. »

En outre, les chars occidentaux ont déjà affronté les équipements russes dans le passé. Par exemple au début des années 1990, lors de la guerre du Golfe qui opposait l’Irak à une coalition de trente-cinq Etats menée par les Etats-Unis. « Les M1 Abrams américains affrontaient des T-72 soviétiques utilisés par Saddam Hussein. Ils voyaient de nuit et plus loin et ont démontré leur supériorité sur le terrain. »

AMX-10 RC, Marder, Bradley : reconnaissance et appui des chars de combat

Il est d’usage de qualifier ces engins de « chars légers ». Ce type de véhicule pèse entre 20 tonnes et 35 tonnes, a un blindage moins épais que les chars lourds, mais est d’une plus grande mobilité. Ils répondent à une stratégie militaire double. D’une part, leur rôle est moins de combattre directement que de « faire de la reconnaissance pour savoir ce qu’il se passe plus loin sur le terrain », explique Marc Chassillan. « Si jamais ils tombent sur une résistance, ils peuvent tout de même se défendre, mais l’objectif n’est pas qu’ils restent des heures sur le champ de bataille », poursuit le spécialiste. En cas d’attaque, le modèle français AMX-10 RC dispose par exemple d’un canon de gros calibre – 105 millimètres – et de deux mitrailleuses.

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D’autre part, les modèles allemands Marder et américain Bradley sont des véhicules blindés d’infanterie : leur rôle est donc aussi de transporter des soldats (au nombre de sept pour le Bradley), ce qui leur permet de se déplacer rapidement et en sécurité vers le front. Ils peuvent aussi appuyer les chars de combat en les protégeant des équipes antichars adverses et en détruisant des cibles secondaires. Ces modèles ont déjà servi lors de la guerre du Golfe, lors de la seconde guerre d’Afghanistan et en Irak.

Des engins utiles pour l’Ukraine à certaines conditions

Si l’Ukraine estime au total à trois cents le nombre de chars dont elle aurait besoin pour mener une opération militaire d’ampleur, les annonces occidentales concernant la livraison d’armement lourd ont, pour l’heure, été faites au compte-goutte. Outre les quatorze chars Challenger 2 annoncés par le Royaume-Uni, la France s’est, de son côté, engagée à céder plusieurs dizaines d’exemplaires d’AMX-10 RC sur les 248 qu’elle possède. En Allemagne, le chancelier Olaf Scholz a promis l’envoi de quarante Marder. Les Etats-Unis devraient, quant à eux, fournir aux troupes ukrainiennes cinquante Bradley.

« Pour l’instant, on donne à l’Ukraine des échantillons, explique Marc Chassillan. Depuis le début de la guerre, le matériel livré monte en qualité, en performances, mais pas en quantité. Les livraisons annoncées ne sont pas insignifiantes, mais elles ne seront pas suffisantes sur le terrain. » En France comme en Allemagne, la livraison de ces équipements, dont les stocks sont limités et précieux, suscite des crispations au sein des armées de chaque pays.

De plus, l’envoi de blindés occidentaux ne sera pas décisif en tant que tel. « Les chars ne peuvent agir seuls sur le champ de bataille, rapporte M. Chassillan. Il leur faut aussi des chars légers comme le Marder ou le Bradley pour les accompagner, il faut des engins du génie par exemple pour déminer… Bref, au-delà des chars, c’est tout l’environnement tactique qu’il faut livrer. » Pour les alliés occidentaux de Kiev, l’équilibre est difficile à trouver entre la nécessité de ne pas fragiliser leurs armées respectives et la volonté de s’afficher aux côtés de l’Ukraine comme des soutiens militaires et politiques de poids.

Source: Le Monde